L’intuition n’a pas toujours bonne presse en entreprise. Pourtant, savoir écouter son intuition est une force pour qui sait l’exploiter à bon escient.

Avant, il n’était même pas question d’évoquer une quelconque forme d’intuition, elle était totalement exclue du domaine professionnel, cela relevait presque de la magie, voire de la sorcellerie… des pratiques qui semblent assez éloignées du côté bien rationnel et pragmatique que l’on s’efforce de mettre en œuvre pour assurer la performance de l’entreprise !

Pourtant, le sujet n’est certainement pas à écarter aussi rapidement car lorsque l’on parle de « la Vision » du Dirigeant, de ce temps d’avance qu’il a sur la direction que va prendre le contexte dans lequel il s’inscrit, il s’agit bien d’intuition.

 

L’intuition, qu’est-ce que c’est?

Je vous propose de commencer par quelques définitions courantes :

>> L’intuition se définit comme la connaissance directe, immédiate de la vérité, sans recours au raisonnement, à l'expérience.

On peut aussi la définir comme un processus de perception et de compréhension inconscient des choses, en précisant que la conscience est la connaissance immédiate de sa propre activité psychique et l’inconscient étant ce qui échappe à la conscience.

Autrement dit, l’intuition est en quelque sorte une forme d’évidence sans que l’on puisse la justifier, une perception spontanée donnant lieu à une certitude.

 

Cette définition finalement très large englobe des formes d’intuitions assez diverses. Cela va de l’intuition qui relève presque de la prémonition à une intuition qui relève plutôt de la vision globale d’une situation. C’est certainement cette diversité qui la rend si dérangeante, notamment en entreprise.

Dans la première, cela relève presque d’un don de clairvoyance accrue, d’un pressentiment qu’un évènement va arriver et qui, semble-t-il, ne concerne pas nécessairement la personne qui a l’intuition. Peut-être celui-ci est-il à rapprocher de la notion d’inconscient collectif que Jung a mise en avant dans ses écrits ? Je n’approfondirai pas ce point qui reste plein d’interrogations.

Dans la seconde, on est plus sur une capacité de discernement exacerbée, cette façon de voir les choses avec un temps d’avance qui renvoie à cette faculté dont disposent les leaders. C’est bien sûr cette forme d’intuition qui a sa place dans le monde professionnel.

 

L’intuition et les philosophes

L’intuition est un sujet qui questionne, notamment les philosophes qui y voient d’une certaine façon une connaissance « supérieure », une connaissance immédiate qui relie à plus grand que soi.

Elle est également à la base de nombreuses découvertes scientifiques. Elle agit comme le déclencheur permettant de donner une orientation déterminante aux recherches. Que ce soit Einstein ou Marie Curie, leur découverte s’appuie sur une intuition initiale. Ce type d’intuition renvoie, il me semble, plutôt à la faculté de discernement exacerbé que je retrouve dans la notion de connaissance du 3ème genre introduite par Spinoza.

La connaissance intuitive de Spinoza

Dans sa quête de trouver un bonheur durable, qui ne soit pas dépendant des évènements et pressions extérieurs, Spinoza fait une place importante à ce qu’il nomme la science intuitive.

Pour atteindre cette joie profonde, Spinoza cherche à comprendre l’humain en l’intégrant dans l’organisation de la Nature qu’il considère comme infinie et immanente. La perception limitée de l’être humain ne lui donne accès qu’à deux attributs de la Nature, la Pensée et l’Etendue, dont il est lui-même constitué au travers de l’Esprit et du Corps.

Voilà très succinctement quelques bases de son approche qui va au-delà de la logique cartésienne car elle prend en compte à la fois l’Esprit et le Corps.

Ainsi, lorsqu’il cherche à comprendre, Spinoza ne se limite pas à la raison, il inclue le corps au travers de la perception de l'expérience.

C’est pourquoi il distingue 3 genres de connaissance :

>> La connaissance du premier genre qui relève d’idées confuses, de perceptions sans réflexion véritable, d’expériences vagues ou d’imagination,
>> La connaissance du second genre qui relève de la raison basée sur l’expérience vraie, elle est obtenue par réflexion et ouvre à des idées adéquates.
>> La connaissance du troisième genre est la science intuitive. C’est une connaissance vraie qui relève de la perception en s’appuyant sur la connaissance du second genre.

 

Pour Spinoza, la connaissance intuitive émerge quand la réflexion basée sur la raison a eu lieu. Elle s’appuie sur la raison, tout en donnant accès à un niveau supérieur de celui que permet la raison.

 

La vision du leader, une forme de science intuitive ?

Quand on parle de la vision du leader, du temps d’avance qu’il a, on retrouve la science intuitive dont parle Spinoza car sans la connaissance approfondie de son sujet, acquise par la réflexion et l'analyse qui lui permettent d'avoir la vision globale du contexte dans lequel il s’inscrit, le leader serait bien en peine de définir une orientation.
Par ailleurs, même s’il a réuni tous les éléments, il ne pourrait pas définir la direction à prendre parmi les différentes possibilités sans cette faculté d’écouter ce que lui dit son intuition.

Dans les grandes orientations telles que les choix stratégiques, la direction prise relève bien souvent de l’intuition car elle apparaît souvent de manière spontanée, comme une évidence, ce qui n’empêche pas de s’appuyer sur un fondement nourri par une approche rationnelle.

Pour autant, l’intuition n’est pas réservée aux leaders et à la stratégie, elle peut intervenir à tout niveau. On retrouve l’intuition dans le processus de décision décrit par J.A. Malarewitcz, spécialiste de l’approche systémique.

 

Une illustration avec le processus de décision

Pour J.A. Malarewitcz, toute décision relève d’un processus qui se déroule en 5 étapes.

 

Les 5 étapes du processus

Ce processus englobe la prise de décision. Je vous en redonne les grandes lignes :

>> L’étape 1 correspond au recueil d’informations.

Elle vise à disposer d’une base concrète sur laquelle s’appuyer pour prendre la décision. C’est une étape rationnelle que l’on construit avec les différentes options envisagées.

>> L’étape 2 est la prise de décision elle-même.

C’est une étape qui peut être délicate, et chacun l’appréhende à sa manière.
Certaines personnes vont d’ailleurs essayer de déléguer la prise de décision par une tierce (ou plusieurs) personne(s). Dans les situations à faible impact, cela peut sembler convenir ; pour autant, la décision est personnelle et le changement ne peut se faire sans cet engagement avec soi.

>> L’étape 3 est l’énoncé de la décision.

Il s’agit de trouver la meilleure formulation pour présenter cette décision. Je pense notamment à l'entourage personnel qui sera nécessairement plus ou moins impacté. Et puis, la décision entraîne certainement des conséquences dans l'environnement professionnel. Il s’agit de trouver dans les deux cas comment formuler la décision pour que celle-ci soit perçue de manière positive.

>> L’étape 4 est l’annonce de la décision.

Il s’agit ici de définir le contexte de cette annonce (où, quand, comment) dans les domaines professionnel et personnel.

>> L’étape 5 est la mise en œuvre.

Dans cette étape, la personne doit assumer sa décision. C’est à ce moment-là qu’elle engage sa responsabilité. Cela marque le passage où la décision se concrétise0.

 

Voilà pour le processus de décision que l’on aborde chacun de manière différente selon sa personnalité.

 

La place de l’intuition dans la prise de décision

Le processus de décision est un processus complexe qui fait appel autant à l’inconscient qu’au rationnel qui nous rassure.

Lors de la prise de décision proprement dite, certaines personnes mettent en place des stratégies d’évitement pour ne pas avoir à prendre la décision, soit en laissant passer le temps de sorte que la décision se prend d’elle-même ou n’a plus lieu d’être, soit en se focalisant sur tout ce qui va à l’encontre de la décision et ainsi se donner plein de bonnes raisons de ne pas prendre de décision, etc.
D’autres personnes vont être partagées entre vouloir les avantages du changement, et craindre de perdre ceux qu’elles ont. Elles oscillent entre les bénéfices attendus de la décision et ceux qu’une non-décision permettrait de préserver car bien sûr, il n’y a pas de « solution idéale » qui ne présente que des avantages !

En d'autres termes, il est fréquent de chercher à rationaliser alors que l’étape de prise de décision n’est pas souvent rationnelle mais plutôt inconsciente, notamment pour les décisions engageantes. Il s’agit alors de laisser parler son intuition. Après avoir posé les choses de manière rationnelle, il s’agit de prendre de la hauteur, de laisser parler cette science intuitive dont parle Spinoza.

D'ailleurs, ce n’est pas tant la prise de décision qui représente une difficulté mais plutôt les étapes suivantes. En fait, il arrive fréquemment d’avoir pris sa décision, d’avoir eu l’intuition de la direction à suivre mais de ne pas savoir comment faire ensuite.

 

Laisser parler son intuition

Comme on l’a vu avec Spinoza, la science intuitive s’appuie sur la connaissance rationnelle. Mais pour la laisser s’exprimer, il s’agit ensuite de faire abstraction de cet aspect cartésien, de s’en défaire le temps de laisser parler l’intuition.

Autrement dit, après avoir tout posé et longuement réfléchi, l’idée est de mettre de côté l’aspect rationnel pour laisser parler l’inconscient.

 

Cette notion d’inconscient a été largement abordée par Carl Gustav Jung, un des grands psychologues du XXème siècle. Pour lui, l'inconscient a une dimension vitale, dans le sens où il intervient dans le développement de l'individu, et a une dynamique propre. Ainsi, la connaissance de soi passe par la mise à jour de nos fonctionnements inconscients qui interviennent dans nos comportements, nos choix, nos émotions, nos décisions.

L’inconscient peut se manifester au travers de l’inspiration artistique, des actes manqués, des rêves, etc… et également au travers de l’intuition.

Certains pensent ne pas avoir d’intuition. Pourtant, chacun a rencontré au cours de sa vie des évènements où l’évidence saute aux yeux, où, sans savoir expliquer pourquoi, on sait que c’est la ligne à suivre, le choix à faire… il n’y a pas de logique dans l’intuition.
L’intuition ne fonctionne pas comme une compétence que l’on peut améliorer par l'apprentissage, elle ne se commande pas. Pour autant, elle est présente dans notre inconscient. Il ne s’agit pas de la développer mais plutôt de savoir l’écouter, de lâcher un peu le conscient pour laisser place à l’intuition.

 

L’intuition ne se force pas, elle n’est pas là pour nous rassurer mais savoir l’écouter permet d’orienter sa vie de manière consciente en laissant place à notre inconscient.

 

« Tant que vous n’aurez pas rendu l’inconscient conscient, il dirigera votre vie et vous appellerez cela le destin. »

- Carl Gustav Jung -

 

Elisabeth Passilly,
 Coaching professionnel et formation